Les Animaux by Christian Kiefer

Les Animaux by Christian Kiefer

Auteur:Christian Kiefer [Kiefer, Christian]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature américaine, Roman noir
ISBN: 9782226318206
Éditeur: Albin Michel
Publié: 2017-01-01T23:00:00+00:00


Tu baptises l’animal – une femelle – Ginny, en souvenir d’une fille dont Bill était fou amoureux quand tu avais dix ou onze ans, et tu te consacres entièrement à elle. C’était peut-être un calcul de la part de ton oncle, sa méthode à lui pour te maintenir sur le droit chemin. Tu fais la même chose quand d’autres animaux se présentent. L’année s’achève, une autre s’écoule. Trois ans et demi passent ainsi, des nuits et des jours à travailler, à bâtir des enclos et à tâcher de persuader les gens de payer leur entrée pour voir les pensionnaires que vous avez réunis. Quelques collectes de fonds en ville. Une semaine de tickets à prix réduit pour les familles. Ginny devient une biche superbe et, lorsque tu lui rends sa liberté au bout d’un an, tu ne peux retenir tes larmes en la regardant disparaître dans la forêt. Pendant quelques saisons, elle revient de temps à autre, puis s’en va pour toujours rejoindre les membres de son espèce. Ton oncle et toi secourez un aigle qui a perdu une aile, près de l’autoroute, à l’endroit où Long Bridge débouche du lac Pend Oreille pour aboutir à Sandpoint. L’année suivante, tu emmènes le gigantesque rapace à l’école élémentaire, où les enfants te traitent comme un dieu, l’oiseau juché près de toi sur le perchoir que tu as érigé pour l’occasion. Dans les grands yeux extasiés des écoliers, tu perçois le reflet de ta propre enfance.

Et là ton oncle disparaît. Dix ans ont passé, mais l’événement te rappelle la mort de ton frère. Ton oncle était là, bien vivant, et soudain le shérif t’annonce que David a eu un infarctus à Bonners Ferry, en allant voir sa petite amie, et qu’il est décédé. Tu ne trouves rien à répondre, et tu restes muet.

T’occuper du refuge sans lui te semble au-dessus de tes forces, tu ne sais même pas, d’ailleurs, si tu es censé prendre la relève. Une partie de toi a simplement envie de relâcher les animaux, d’ouvrir leurs cages et de les regarder s’égailler dans la forêt. Dans ces rêveries, leurs corps mutilés ont retrouvé leur intégrité, leurs esprits libres et purs sont un concentré de vie sauvage. Ou de sauvagerie, plutôt. Ils rêvent d’herbes dorées, de prairies peuplées de wapitis et d’orignaux, de bouquets de pins noirs et de bouleaux blancs, de rivières fraîches et limpides gonflées par la fonte des neiges. C’est peut-être bien la vérité, même dans leur condition présente. Cependant, tu sais qu’en les libérant, tu les enverrais à la mort. Des oiseaux qui n’ont qu’une aile. Des mammifères privés d’une patte. Un grizzli capable d’aborder le premier humain venu pour quêter une guimauve, et qui ne récolterait au bout du compte que la terreur et la mort.

Il n’y a pas de cérémonie pour ton oncle, pas d’obsèques à proprement parler, et lorsque tu apprends qu’il a laissé un testament, tu découvres qu’il était propriétaire du terrain et qu’il a décidé de te léguer l’ensemble des cinquante arpents.



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